La première phase du projet de recherche-création intitulé Primatoscopy (2021-2023) a jeté les fondements théoriques et pratiques des pistes expérimentées dans les salles du Lieu. Primatoscopy est un projet de recherche-création divisé en quatre phases distinctes, visant à explorer les interactions entre des primates non humains (Macaca Fuscata) et l’argile dans un environnement contrôlé. Ces expérimentations ont révélé des contraintes inattendues ; l’obligation de traiter les artefacts au Virkon© (virucide, bactéricide et fongicide à action rapide) en raison du virus de l’herpès B (Herpesvirus Simiae) ; la division des enclos oriente les comportements (les macaques ne jouent pas là où ils mangent) ; l’impossibilité d’enregistrer les conditions de captivité a entravé la surveillance continue et a nécessité une interprétation indirecte des traces observées dans les enclos. L’analyse de ces archives a toutefois permis de dégager un schéma récurrent : ces primates ont tendance à fragmenter l’argile une fois sèche, exploitant ainsi sa matérialité pour tracer des lignes au sol. Les multitudes de lignes enchevêtrées sont constantes et répétitives. Elles semblent être l’intérêt principal que leur suggère la matérialité de l’argile. Les lignes « d’acharnement » ont été comparées avec les schémas de nidification dessinés par les primatologues Kohsei Izawa et Jun’ichirō Itani, évoquant des liens potentiels entre cognition, environnement et construction culturelle. Une vision des singes per se me permettant d’expérimenter, par la matérialité de l’argile, que « l’esprit » n’est pas enfermé dans le crâne.
La proposition présentée au Lieu se décline comme une itération nécessaire, comme un « pas de côté », permettant de prendre une distance avec les résultats de Primatoscopy (toujours en phase de développement). Un enchevêtrement d’improvisations matérielles et archivistiques prennent la forme d’une installation performative et tentent de questionner l’inséparabilité, ou la circularité, entre le schème et le contenu. Le schème désigne ici toute structure cognitive qui organise les informations, tandis que le contenu est l’ensemble des expériences concrètes qui remplissent ces structures. Le projet soulève une problématique ancienne, entre approche constructiviste et approche empiriste, et interroge donc la primauté entre les deux : est-ce la manière dont nous structurons le monde qui détermine notre perception, ou sont ce nos expériences qui façonnent ces structures ? Pour demeurer dans une approche holistique de la recherche-création (car « le nom n’est pas la chose nommée »), le projet Du schème ou du contenu (Of Scheme or Content) expérimente à partir de trois constructions batesonienne ; une idée est un mode de différentiation, non de représentation (une idée est une différence) ; une information est une signification qualitative, non pas une donnée quantifiable (une information est une « différence qui fait une différence ») ; le concept « d’esprit » n’est pas limité par notre peau (« l’esprit » est enchevêtré avec l’environnement). Ces prémisses inspireront les improvisations prévues au Lieu en s’appuyant sur la recherche-création pour ouvrir vers un changement d’habitudes épistémologiques, vers un posthumanisme éprouvé sur le terrain de ma pratique artistique.
*Des artistes pourront être invités à « diluer les schèmes et les contenus »
*Bateson, G. (1972). Steps to an Ecology of Mind (Vol. 1‑2). Ballantine Books.
Bateson, G. (1979). Mind and nature: A necessary unity (1st ed). Dutton.
Bilgrami, A., & Engel, P. (1994). Lire Davidson : Interprétation et holisme. Éditions de l’éclat.
Crépeau, R. (2003). Une écologie de la connaissance est-elle possible ? Anthropologie et Sociétés, 20(3), 15‑32. https://doi.org/10.7202/015432ar Kodalak, G. (2024). Gregory Bateson, Distributed Mind, and Cybernetic Ecology. In The Space of Technicity: Theorising Social, Technical and Environmental Entanglements (p. 95‑117). TU Delft OPEN Books.
L’hybridation des pratiques traditionnelles, l’approche dialogique, la variabilité culturelle des approches matérielles, leur thématisation ou leur détournement sont des stratégies qui définissent ma pratique artistique. Développant autour de l’argile et de la céramique comme objets épistémiques, mes recherches évoquent des tensions entre œuvres sculpturales, performativité des contextes et processus de production. Mes propositions d’installations picturales et spatiales, ainsi que mes projets de recherche-création nourrissent un désir de transgression des contours disciplinaires et démontre une prise de risque formelle, un engagement profond à questionner l’esthétique attendue tout en confrontant les contingences historiques et culturelles des matériaux et des techniques. J’utilise mes expériences vécues en archéologie paléohistorique pour développer des activités artistiques qui génèrent des rapprochements et des ambiguïtés entre forme et fonction, entre objet et archive, entre œuvre et artefact, entre reproduction et transformation ou entre hylémorphisme et morphogénèse. Mes collaborations avec des auteur.es, avec des anthropologues ou avec des artistes de la performance, ont amené ma pratique à se diversifier par un rapprochement entre les techniques actuelles et traditionnelles des arts vivants et celles des arts visuels et médiatiques. Mes projets de recherche behavioural-artifacts-comportementaux et Primatoscopy empruntent à l’anthropologie nord-américaine par une méthodologie systémique, par la corporéité du travail des matériaux, par la rencontre culturelle et par le déplacement de ma pratique dans des lieux non voués à l’art. Ces récents décentrements me permettent d’esquisser un nouveau territoire de recherche-création, celui de l’anthropologie créative, une approche post-anthropologique, par laquelle se retrouvent floutés les contours entre individu et environnement ou entre humains et non-humains.