Inter n° 142 - Mélancolie à l’ère de la technique
L'équipe d'Inter, art actuel - revue d'arts visuels, est fière d'annoncer la sortie de son numéro 142!
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Ce dossier se présente, entre autres perspectives possibles, comme actualisations de certaines interprétations de la gravure de A. Dürer Melencholia I, réalisée (1514) plus de cinq siècles avant l’hégémonie des dispositifs numériques ou cybernétiques de communications, d’enregistrements et de calculs. Quatre aspects principaux peuvent être mis en relief.
Il y a d’abord celui de l’obsolescence programmée inhérente aux injonctions de changer constamment d’appareils ; un ennui, sinon une exaspération, sans compter les sévices écologiques considérables engendrés, peuvent être causés par cet assujettissement aux accélérations technologiques, ainsi qu’à ses effets de mode.
En deuxième lieu, il y a l’aspect de l’insatisfaction, de la déception, du « désenchantement du monde », devant les promesses technologiques. Il s’agit d’une expérience de l’impuissance de la raison instrumentale face au foisonnement de l’existence humaine ; d’une expérience des limites de la science et du calcul en regard des capacités de compréhension de l’esprit humain.
L’interprétation principale que proposent R. Klibansky, E. Panofsky et F. Saxl autour de cette gravure de Dürer s’inspire de Raymond Lulle et d’Henri de Gand, lesquels associent mélancolie, géométrie et mathématique. Saturne, le dieu qui a créé le temps, gouverne la mesure du temps, non moins que celle de l’espace : « De là qu’ils sont les mélancoliques et qu’ils sont les meilleurs mathématiciens, et les pires métaphysiciens : car ils ne peuvent étendre leur intelligence au-delà du site et de la magnitude sur quoi se fondent les mathématiques. De quelque chose que ce soit, c’est le combien qu’ils se représentent, ou la place dans le combien ». (Henri de Gand, cité par Klibansky et al.)
Il est possible, certainement, de faire correspondre à ces mathématiques tous les algorithmes, les mégadonnées, l’intelligence artificielle, la logique binaire (0-1), composant l’essence même des écosystèmes numériques.
En troisième lieu, il y a l’aspect de ces écosystèmes qui fait de notre rapport au monde un amoncellement de fragments décontextualisés. Le paradigme numérique peut en effet se présenter comme dispositif d’arraisonnement du contexte, comme dispositif de décontextualisation, atomisant le monde, individualisant la société. Les hypertextes permettent des compositions rhizomiques infinies, mais dans lesquelles la conscience, la connaissance de la relation entre la partie et le tout, l’élément et l’ensemble, devient compromise.
Enfin, la mélancolie, ce « bonheur d’être triste » (V. Hugo), suggère que la source de la tristesse puisse être dépassée ou sublimée. La mélancolie à l’ère de la technique implique donc peut-être aussi la possibilité pour le monde numérique d’accompagner conséquemment l’épanouissement de la condition humaine. Comment ? En affranchissant les écosystèmes numériques de la soumission aux intérêts capitalistes des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ? La mélancolie à l’ère de la technique comme ressort de paralysie ou de mouvement ? Épuisement ou débridement des énergies créatives?
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