Inter n° 146 - Babel et la crise du symbolisme

Babel, c’est l’Occident : l’Autre comme centre creux, une universalité vide à laquelle nous sommes parvenus par la multiplication et donc la disparition des altérités.

INTER, ART ACTUEL #146

(AUTOMNE 2025)

Babel et la crise du symbolisme

Responsables du dossier : Martin Nadeau et Michaël La Chance

L’utopie d’une langue universelle et d’un urbanisme rassembleur, d’une compréhension mutuelle et d’une harmonie mondiale, qui remonte au mythe de la tour de Babel, est remplacée aujourd’hui par le techno-utopisme de la Silicon Valley. Aujourd’hui, nous croyons encore que la possibilité de communiquer par-delà nos particularismes religieux et culturels, la reconnaissance de nos intérêts communs et le partage de nos savoirs et de nos trésors culturels, tout cela devrait nous permettre de transcender la malédiction de Babel.

Le capitalisme de surveillance remplace les noms par des code-barres, des codes QR ou des puces. Le projet de la modernité d’instaurer l’universalité (de la justice, du beau, des luttes d’émancipation et des savoirs) est identifié à l’hubris des premiers habitants de Babel. Aujourd’hui, l’hubris moderne d’unifier le monde est frappé par la malédiction de Babel : les cultures se révèlent irréconciliables, chacune possède son langage et ses traumas distinctifs, son éthique d’équité et ses revendications de justice sociale.

Nous assistons à un effet Babel lorsque l’éclatement de l’idéal d’émancipation universelle produit un archipel d’identités sexuelles, ethniques, linguistiques. Une dé-symbolisation qui ouvre la voie à une cohabitation de systèmes de croyances ancrées dans des versions idiosyncrasiques de l’histoire. Dans cette Babel éclatée, sa foultitude d’identités, de minorités et de marginalités, les différences sont devenues redondantes et il n’y a plus d’altérité.

L’art n’est plus une forme de communication mondiale. Devant un film, un texte, une œuvre on ne pose plus la question « quelle exploration formelle, quelle articulation symbolique? », mais « qui » l’a créé, au nom de quel groupe, quelle intention de résistance, quel refus de l’Occident et du futur pouvons-nous y lire ? Babel, c’est l’Occident : l’Autre comme centre creux, une universalité vide à laquelle nous sommes parvenus par la multiplication et donc la disparition des altérités.

inter-lelieu.org utilise des cookies pour améliorer votre visite et analyser les performances du site. En naviguant sur ce site, vous consentez à l'utilisation de ces cookies, veuillez consulter notre Politique de protection des données.