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Appel de texte Inter n. 146

Appel à contributions – Babel et la crise du symbolisme

Dans un monde où le langage cède la place aux algorithmes et où les symboles s’effacent devant l’omniprésence des signaux numériques, que reste-t-il de notre capacité à structurer le réel à travers l’art et la pensée ? La revue Inter, art actuel invite artistes et auteurs à interroger cette mutation du symbolique à l’ère de la computation massive et de la prolifération des identités fragmentées.

Nous appelons les artistes à soumettre des œuvres visuelles en résonance avec cette thématique : photographies, œuvres picturales, performances documentées en images ou en extraits vidéo, qui explorent l’effondrement du symbolique, la surcharge informationnelle, la perte de repères ou la réinvention de nouveaux systèmes de signification.

Les auteur·rice·s sont invité·e·s à proposer des textes qui établissent un lien critique avec cette problématique, qu’il s’agisse d’une réflexion théorique, d’un essai, ou d’une analyse d’une exposition en art actuel ou de performances en lien avec la dé-symbolisation du monde contemporain.

📅 Date limite d’envoi : 16 mai 2025
📖 Publication : Automne 2025
📩 Soumissions : redaction@inter-lelieu.org
🔍 Détails de l’appel : http://inter-lelieu.org

Formats :
📝 Texte : 3 500 mots max
🖼 Images : 300 dpi, JPEG ou TIFF, min. 46 x 30 cm

À travers ce dossier, nous souhaitons interroger comment l’art et la performance peuvent répondre à la disparition des cadres symboliques et proposer de nouvelles formes d’expérimentation face à la Babel numérique et identitaire contemporaine.

INTER 146
Babel et la crise du symbolisme
Responsables du dossier : Michaël La Chance et Martin Nadeau

Le langage humain n’est plus l’élément structurant de la société. Notre système techno-économique repose désormais sur des réseaux électroniques et une puissance de computation massive. Les énoncés symboliques sont remplacés par des signaux de commandement où les symboles élémentaires (Boole) sont compilés dans des 1 et 0. Plus des discours, mais des algorithmes ; plus des raisonnements, mais des listes d’instructions en codes.

Un rappel brutal de cette mutation : les grands modèles de langage (les LLM comme ChatGpt4, Claude Sonnet 3.5) ne reposent pas sur un ordre symbolique (logique, syntaxe, sémantique, lexique), mais sur la prédictibilité des tokens, tout comme en physique les atomes ont été remplacés par des particules probabilistes. Déjà, Borges caractérisait Babylone et la bibliothèque de Babel comme « infini jeu de hasard ». Le symbole évoque la synthèse du connu et la négociation avec l’inconnu ; tandis que la perte du symbole évoque la prolifération infinie des informations dans des mondes totalisés. Ce qui précipite le remplacement du livre par les écrans.

On a longtemps cru que l’être humain possédait des compétences symboliques innées, que les langages étaient soumis à des règles universelles. Mais la postmodernité encourage l’éclatement des langages, veut nous faire désapprendre (unlearning) les savoirs partagés. Toute prétention à l’universalité est suspecte d’impérialisme (colonialisme, patriarcat). Pendant que les intellectuels et les artistes travaillent à mettre en valeur les particularismes culturels, le néolibéralisme a remplacé les rationalités par de la gestion Excel, le symbolique par la numérisation massive. Il nous semble que nous avons perdu le bon sens et la décence, nous sommes devenus cyniques envers les politiciens et les médias.

Le symbolique est un relais de régulation psychique et un vecteur de création essentiel : la symbolisation (en tant qu’Einfühlung) permet de transposer des tensions dans un corps substitut, un lieu d’échange et de renversement. La civilisation du logos est remplacée par de grands spectacles dans la dimension du virtuel, une pléthore d’images dont nous sommes les consommateurs passifs. Une surmultiplication d’images dont différents groupes veulent revendiquer le contrôle et la propriété.

Le symbolique offre un cadre cohérent pour nos interactions (rapport à soi, aux choses et aux autres) et le déploiement de nos imaginaires. L’appauvrissement du symbolisme, c’est perdre une fluidité cognitive et émotionnelle essentielle. La symbolisation est sur le plan cognitif ce qu’est la métabolisation sur le plan somatique. La perte de la dimension mytho poïétique de l’existence nous laisse sans défense contre les systèmes totalitaires qui imposent l’univocité, la littéralité, et l’absence d’alternative. L’effondrement du symbolique fait de nous des psychorigides sans latitude d’interprétation, sans relativisme et sans humour. Dans À la colonie disciplinaire de Kafka, l’ordre social requiert de graver le texte de la loi dans le corps des dissidents. Le capitalisme de surveillance nous impose le code-barre, le QR code et la puce. Le projet de la modernité d’instaurer l’universalité (de la justice, du beau, des luttes d’émancipation et des savoirs) est identifié à l’hubris des premiers habitants de Babel. La malédiction de Babel, c’est l’éclatement des identités, chacune son langage et son trauma, son éthique d’équité et ses revendications de justice sociale.

Nous assistons à un effet Babel lorsque l’éclatement de l’idéal d’émancipation universelle a mené à un archipel des identités contemporaines (sexuelles, ethniques). Une dé-symbolisation qui ouvre la voie à une cohabitation de systèmes de croyances ancrées dans des versions idiosyncrasiques de l’histoire. Dans cette Babel technoculturelle, sa foultitude d’identités, de minorités et de marginalités, les différences sont devenues redondantes et il n’y a plus d’altérité.

D’un film, un texte, une œuvre on ne pose plus la question « quelle exploration formelle, quelle efficacité symbolique », mais « qui » l’a créé, au nom de quel groupe, quelle intention de résistance, quel refus de l’Occident et du futur pouvons-nous y lire ? Babel, c’est l’Occident : il n’y a plus d’altérités, mais l’Autre comme centre creux, colonial et toxique. On entreprend de faire éclater ce centre, le monde sera changé en modifiant les représentations symboliques des identités. Ah, de nouveau le symbolique.

 

 

[EN]

Call for Contributions – Babel and the Crisis of Symbolism

In a world where language is giving way to algorithms and symbols are fading under the dominance of digital signals, what remains of our ability to structure reality through art and thought? Inter, art actuel invites artists and writers to explore this transformation of symbolism in the era of massive computation and the fragmentation of identities.

We invite artists to submit visual works that resonate with this theme: photographs, pictorial works, performances documented through images or video excerpts, exploring the collapse of symbolic structures, informational overload, the loss of reference points, or the reinvention of new systems of meaning.

Writers are invited to submit texts that critically engage with this issue, whether through theoretical reflections, essays, or analyses of contemporary art exhibitions or performance presentations related to the de-symbolization of today’s world.

📅 Submission deadline: May 16, 2025
📖 Publication: Fall 2025
📩 Submissions: redaction@inter-lelieu.org
🔍 Details of the call: http://inter-lelieu.org

Formats:
📝 Text: Maximum 3,500 words
🖼 Images: 300 dpi, JPEG or TIFF, minimum size 46 x 30 cm

INTER 146 – Babel and the Crisis of Symbolism
Issue Editors: Michaël La Chance and Martin Nadeau

Through this issue, we seek to explore how art and performance can respond to the disappearance of symbolic frameworks and propose new forms of experimentation in the face of the contemporary digital and identity-driven Babel.

Human language is no longer the backbone of society; our techno-economic system is now based on electronic networks and massive computational power. Symbolic statements have been replaced by command signals in which elementary symbols (Boole) are compiled in ones and zeros. Algorithms have replaced discourse; logic and reason have been replaced by coded instruction lists.

A harsh reminder of this transformation: The primary language models (large language models, or LLMs, such as ChatGPT4 and Claude Sonnet 3.5) are not based on a symbolic order (logic, syntax, semantics, lexicons) but on the predictability of “tokens”, similar to atoms in physics being replaced by probabilistic particles. Jorge Luis Borges had already once described Babylon and the Library of Babel as an infinite game of chance. Symbols are the synthesis of what is known and the negotiation with the unknown—but the loss of symbols suggests the infinite proliferation of information in known worlds, accelerating the replacement of books by screens.

Symbols are an intermediary for mental regulation and an essential vector for creating: using symbols (as Einfühlung) allows one to move tensions into a substitute body, a place for dialogue and role reversal. The civilization of logos is replaced by grand spectacle in the virtual dimension, a plethora of images that we passively consume—images in overdrive over which various groups wish to assert control and ownership.

Symbols offer a coherent structure for understanding our interactions (our relationships with ourselves, with things and with others) and stirring our imaginations. The loss of symbolism causes us to lose necessary mental and emotional fluency. Symbolization is to cognition what metabolism is to somatics. Losing the mythical and poetic dimension of existence leaves us defenseless against totalitarian systems that mandate univocality, literalism and the absence of alternatives. A lack of symbolism makes us mentally rigid, without room for interpretation or relativism or humour.

In Kafka’s story In the Penal Colony, the social order requires carving the letter of the law into the bodies of dissidents. Under surveillance capitalism, we are required to use barcodes, QR codes and chips. The modern project to establish universality (of justice, of beauty, of fights for liberation and of knowledge) is seen in the hubris of the first inhabitants of Babel. The curse of Babel was the fracturing of identities, each with their own languages and trauma, ethics of equality and demands for social justice.

We saw this Babel effect when the shattering of the universal ideal of liberation led to a division of contemporary identities (sexual, ethnic, etc.), a de-symbolization that opens the door to coexisting belief systems based on various idiosyncratic versions of history. In this technocultural Babel and its multitude of identities, minorities and marginalities, differences have become redundant, and there is no more otherness.

When considering a film, text, or work, we no longer ask what is being formally explored, or what symbols are effectively used. Rather, we ask who created these works, on behalf of which group, for what purpose of resistance? What kind of rejection of the West and the future can be detected? Babel is the West: there is no more otherness, but the Other as a hollow, colonial and toxic core. We are attempting to blow up this centre and change the world by altering the symbolic representations of identities. May symbolism return!

It was long believed that human beings possessed innate symbolic skills and that languages were subject to universal rules. However, postmodernity encourages the fragmentation of language and the “unlearning” of shared knowledge. Any claim of universality is accused of imperialism (colonialism, patriarchy). While intellectuals and artists work to highlight the unique aspects of their cultures, neoliberalism has replaced rationalities with Excel management and the symbolic with mass digitalization. We seem to have lost our good sense and decency and have become cynical towards politicians and media.

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