L’usage est un acte de présence. La vie par l’usage, c’est possiblement revendiquer une autonomie face à la puissance des systèmes, des régulations et des normes. Car même impensé, façonné par l’habitude, l’usage entretient toujours un rapport actif singulier avec la dimension matérielle, mais aussi symbolique, de notre environnement. Le déplacement comme l’errance sont des usages du territoire ; l’habitat et le vandalisme, des usages du bâtiment.
L’usage est inappropriable. Il n’appartient à personne en propre et, bien que souvent contraint, il n’est jamais prédéterminé. On peut conséquemment faire usage du monde de façon désintéressée ou détournée, en dehors des programmes et des prescriptions morales et sociales. Dans l’histoire de l’art, le ready-made, la manœuvre ou l’arte povera ont exprimé cette potentialité.
En tant que rapport critique aux choses et aux idées, l’usage se distingue de la consommation ou de l’utilisation. Il ébranle les structures du pouvoir : les notions de propriété et d’utilité, les spécificités des objets, des espaces et des idées, sont sans cesse remises en cause selon leurs usages. Contre l’entropie ordonnée de la prescription, l’usage permet la transgression des règles par la construction de situations alternatives. La ville, l’architecture, le paysage, les matériaux, les formes culturelles, le langage se dégagent du pouvoir normatif par le sens particulier qu’ils prennent dans leurs usages.
Appropriation, occupation, subversion, calembour, squat, activation alternative des espaces vacants, création d’interstices spatiaux, sociaux et temporels… Inter, art actuel 145 s’intéresse à la dimension matérielle, mais aussi sociopolitique, de notre rapport au monde, notamment à travers les pratiques de détournement de l’usage prescrit des choses, des espaces ou des idées. Ce dossier réunira des contributions concernant des postures ou des actions, à charge artistique ou non, qui peuvent parfois paraître inconsidérées, irraisonnables, voire absurdes, ou indisciplinées, en ce qu’elles ne répondent pas aux critères de notre société, qui prône l’investissement comme mode de vie et la croissance capitalisée comme fin.
Une occasion de penser et d’illustrer des pratiques – artistiques, subversives, communautaires, du quotidien, sociales ou ouvertement politiques – qui en manifestant la vie par l’usage participent à inventer et à transformer le monde, tel qu’il nous est accessible.
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