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Tirée de l’Index du performatif, l’entrée « performance » compte 7 définitions témoignant bien des origines fuyantes et de « l’atmosphère de « désaccord sophistiqué » » (Strine & al., 1990) entourant l’art performance. Avant d’introduire les définitions tirées de notre Index, il est important de souligner que, comme le dit Carlson : « Pour la personne intéressée par l’étude de la performance, ce corpus d’analyses et de commentaires peut d’abord sembler plus être un obstacle qu’une aide. Tant de choses ont été écrites par des experts dans un si large éventail de disciplines, et un réseau complexe de vocabulaire critique spécialisé a été développé au cours de cette analyse, qu’un non initié cherchant un moyen de participer à la discussion peut se sentir confus et submergé. » [traduction libre]
« La performance
c’est un corps
dans un espace
et c’est un son
dans un corps,
ce son est celui de notre corps
ou celui de cet espace,
c’est un son de nature :
voix, viande, &c.
ou un son d’artifice :
musique, bruits, &c.
Puis c’est un geste
du corps
et un mouvement
de cet espace
et comment jouent ensemble
le geste du corps
et le mouvement de l’espace.
Le mouvement de l’espace
est proprement celui de l’espace
mais aussi du peuple de cet espace :
du public.
Là, tout va bouger :
le corps,
l’espace,
le son,
le geste…
Et la rencontre
sera
ou s’évaporera. »
« Depuis la fin des années soixante, le mot performance indique une forme d’art action qui, au début de sa « carrière », était très limitée : la création d’une situation unique par une ou plusieurs personnes qui exprimaient avec cette action une idée ou un sentiment sans utiliser les formes « habituelles » de contact. Cette action était unique, elle ne se répétait pas parce qu’elle était réduite à la situation de toutes les conditions dans lesquelles elle était créée. L’authenticité était de vigueur. Les limites principales de cette définition persistaient mais, avec le temps, s’élargissaient : les « techniques » devenaient multiples. Le nombre des participants, les lieux, la durée, les sons, les outils, les thèmes, étaient plus flexibles. Une limite restait : pas de répétitions, pas de jeux de rôle. En groupe, on discutait l’idée, on choisissait le lieu, on s’unissait sur la durée (possible). Pour la danse : pas de chorégraphie fixée. En ce début de nouveau siècle, les sens accordés à cette définition ont pratiquement proliféré. Le mot performance se trouve aujourd’hui dans toutes les sections de notre vie. Il veut dire, surtout, « prouesse ». »
« La performance est l’actualisation devant un public potentiel d’un contenu variable d’expressivité. À la fois une attitude visant la libéralisation des habitudes, des normes, des conditionnements et une déstabilisation visant une reformulation des codes de la représentation, du savoir, de la conscience, la performance est une mise en situation de matériaux dans un contexte, une destitution des rapports de conventionnalité et une transformation des catégories stylistiques. Elle colporte les acquis culturels et cherche à définir des ailleurs potentiels dans l’hégémonie de formes plus ou moins institutionnalisées, selon les genres et les besoins d’affirmation ou de négation. Il y a des performances issues de pratiques comme les arts visuels, la poésie, la musique, le théâtre… et d’autres qui tentent de déterminer les critères délimitant des méthodologies hors des conditionnements et des conventions, essayant d’appliquer à ce style de positionnement une originalité fonctionnelle. Bref, il y a autant de sortes de performances que de performeurs. Par ailleurs, les caractéristiques culturelles d’une ethnie ou d’un espace-temps géographique sont des critères selon lesquels s’organise la livraison de la performance. La même performance sera perçue différemment d’une région géographique à l’autre. Elle s’articule la plupart du temps en fonction du contexte de sa présentation. Parfois, le corps est totalement présent ; parfois l’appareillage objectuel, médiatique ou technologique tend à constituer l’essentiel de la proposition. Quelquefois, le dispositif scénique compose l’essentiel de l’activité ; à d’autres moments, l’investigation suppose le questionnement théorique. Lors de certaines occasions, l’interactivité est présente entre le performeur et le public. Historiquement, la performance serait issue des pratiques dématérialisantes des années soixante, surtout en lien avec la reconnaissance officielle de ce type de pratique artistique. Toutefois, certaines actions performatives trouvent dans les protagonistes des avant-gardes du début du siècle (futurisme, dadaïsme, surréalisme, etc.) des assises historiques. L’hybridation des artistes des années quatre-vingt, contre la spécialisation et le métier, confirme une versatilité artistique, qualifiée de multidisciplinaire ou d’interdisciplinaire, qui inclut la performance comme une attitude visant la libéralisation des critères objectifs institués. À la limite, il existerait des performances expressionnistes, d’autres « ritualistes ». Par contre, les formes de livraison sont des moments qui nous en apprennent sur la manière dont s’exécute l’activité artistique-poétique dans un contexte déterminé. La responsabilité de l’artiste s’étend à son engagement et à la validité de son potentiel affirmatif et symbolique. L’organisation sociale, le contexte religieux, l’évolution technologique, le niveau de vie ainsi que les caractéristiques culturelles sont des axes sur lesquels le performeur agit. La réception de la réponse est une analyse sociocritique des présupposés philosophiques du questionnement. La liberté du performeur correspond à son engagement envers l’art. »
« Dans son ouvrage Performance, réception, lecture (1990), Paul Zumthor s’appuie sur les travaux de Dell Hymes, dont un texte intitulé « Breakthrough into Performance », pour tirer quelques grands traits de la performance : La performance, dit-il, « réfère à la réalisation d’un matériel connu comme tel » [notre traduction]. La performance réalise, concrétise, fait passer de la virtualité à l’actualité quelque chose que nous reconnaissons. — La performance se situe dans un contexte à la fois culturel et situationnel. Elle apparaît comme « émergence », un phénomène qui sort de ce contexte en même temps qu’il y trouve place. Quelque chose se crée, atteint sa plénitude, et par là même transcende le cours ordinaire des événements. — La performance et la connaissance de ce qui est transmis sont liées en ce que la nature de la performance affecte ce qui est connu. La performance, en quelque sorte, modifie la connaissance. Elle n’en est pas simplement le moyen de communication ; en la communiquant, elle marque. »
La performance est un art de la présence, selon RoseLee Goldberg. « Selon la nature de la performance, cette présence peut être ésotérique, chamanique, pédagogique, provocatrice ou divertissante », écrit-elle dans La performance, du futurisme à nos jours (2001). Dans Performance, réception, lecture (1990) Paul Zumthor affirme que « la performance est acte de présence au monde et à soi ». De même, il rejoint Josette Féral pour qui la situation performancielle est une opération cognitive. Pour lui, il y a « une convergence profonde entre la performance et la poésie, qui toutes deux aspirent à la qualité de rites ». Toute la poétique de Zumthor s’appuie sur le performatif en tant que conduite ritualisée impliquant une coprésence. Tantôt cette poétique génère l’équivoque (position controversée prise dans l’ouvrage Le masque et la lumière (1978) tantôt elle appelle à une mémoire recréatrice qu’il nomme « mouvance » et qu’il définit ailleurs ainsi : « [C]ette répétitivité non redondante, c’est celle de la performance. » Cette mouvance a amené Zumthor à réfléchir à propos d’une « forme-force » : « [L]a forme n’est pas régie par une règle, la forme est règle. Mais une règle à tout instant recréée. »
« Il y a divers « genres » de performances. En ce sens, comparons la performance au sport. Comme dans les sports, il y a les extrêmes : d’un côté du spectre on trouve le yoga et de l’autre, le ski acrobatique. Entre les deux, il y a toute une panoplie d’activités physiques que l’on peut explorer, seul, en duo ou en groupe, avec peu ou beaucoup d’équipement, à l’extérieur ou à l’intérieur, dans un lieu spécialement aménagé comme un gymnase, une piscine, une patinoire, ou en pleine nature comme un lac, une montagne. Mais nous ne saurions dire adéquatement ce qu’est la performance ou ce qu’elle n’est pas. En anglais, le terme désigne « le fait de mener à bien une activité quelconque » (Étienne Souriau). Dans l’essentiel de la chose, nous adhérons dans le même sens, ce qui nous porte vite, et davantage, à nous questionner, à échanger sur l’œuvre, sa poïétique et son esthétique. Liviu Dospinescu (www.effetsdepresence.uqam.ca) définit adroitement l’art action ainsi : « [P]erformance (per- + -formance) peut être entendue comme le processus même de production d’une forme » ou comme action ou processus conduisant à une forme. Il s’agit donc de la mise en forme de certaines qualités. »